CHAPITRE II
Esclavage
Comme le maître de Ptarth descendait les étages supérieurs du palais, en compagnie de ses courtisans, le serviteur se laissa distancer, à l’arrière du cortège, restant bon dernier de toute l’assistance. Puis il se baissa promptement, enleva la sandale chaussant son pied droit et la glissa dans son sac.
Quand tout le groupe eut regagné les niveaux inférieurs, le Jeddak, d’un signe invita le groupe à se disperser. Nul alors ne remarqua l’absence de cet individu qui avait attiré l’attention sur lui juste avant le départ du Prince d’Hélium.
Personne n’avait eu l’idée de lui demander à quelle suite il appartenait, les nobles Martiens ayant de nombreux domestiques allant et venant sans cesse selon les fantaisies de leur maître. De sorte qu’un visage nouveau n’attire pas l’attention, ne laissant guère l’occasion d’être interrogé ; le seul fait d’avoir franchi les limites du palais constitue déjà une preuve solide de sa loyauté envers le Jeddak, tant les examens sont stricts pour ceux qui se portent volontaires à servir les nobles appartenant à la cour.
C’était là une excellente règle qui ne souffrait d’exception que du fait de la courtoisie, lors de la visite d’hôtes royaux, venant de pays amis et dont la suite était supposée déjà sûre et triée.
Le lendemain, dans la matinée, un géant accoutré de l’uniforme d’un noble attitré de Ptarth, sortit par la grande porte du palais pour se rendre en ville. Il gagna prestement un quartier situé hors de celui des notables, le traversa en suivant une large avenue, puis une autre, atteignant ainsi la partie commerçante. Il arriva au pied d’un immeuble au style assez prétentieux, lequel, tarabiscoté de sculptures et de mosaïques imbriquées, s’élançait vers les cieux, spiralant comme une vis.
C’était le palais de la Paix, abritant les ambassades des représentants de toutes les puissances étrangères. Les ministres eux-mêmes logeaient dans des villas somptueuses, éparpillées dans le quartier des édiles.
Une fois parvenu dans les locaux, l’homme chercha l’ambassade de Dusar. Un huissier se leva pour lui demander ce qu’il désirait et, comme le visiteur parlait d’une audience avec le ministre lui-même, il réclama à son interlocuteur une attestation prouvant ses qualités.
Le visiteur fit alors glisser un bracelet de métal qu’il portait au-dessus du coude et désignant du doigt une inscription figurant à l’intérieur, il souffla un mot ou deux à voix basse à l’oreille de l’huissier.
Les yeux de ce dernier s’agrandirent de stupéfaction, son attitude se transforma aussitôt en une déférence profonde. Il lui désigna de la tête un siège et se hâta, gagnant l’intérieur avec le bracelet à la main, pour réapparaître rapidement. Il le conduisit alors auprès de l’ambassadeur.
Les deux interlocuteurs restèrent seuls un bon moment ; quand le géant sortit de chez le haut magistrat, il avait sur le visage un sourire des plus sinistres, une expression de profonde satisfaction. Du palais de la Paix, il se précipita directement au domicile du ministre de Dusar.
La nuit même, deux appareils rapides s’envolaient du toit du palais. L’un se ruant en direction d’Hélium ; l’autre…
Thuvia de Ptarth se promenait dans les jardins du palais de son père, selon son habitude nocturne, avant de se retirer. Elle était emmitouflée de soieries et de fourrures chaudes car l’air de Mars devient excessivement frais après la plongée du soleil au-delà de l’horizon oriental.
Les pensées de la jeune fille vagabondaient entre ses noces imminentes qui en feraient l’impératrice de Kaol et la personne du charmant jeune Héliumite, qui avait déposé son cœur à ses pieds, le jour précédent.
Était-ce la pitié ou le regret qui avait assombri son visage la veille au soir alors qu’elle contemplait le ciel austral, suivant du regard les lumières de son aéronef s’éloignant rapidement, finissant par disparaître ? Voilà qui était bien difficile à déterminer exactement !
Aussi, était-il impossible de juger quelles émotions s’emparèrent d’elle quand elle vit, ce soir-là, les lumières d’un esquif apparaissant rapidement, venant de cette même direction, comme s’il se trouvait attiré par les pensées même de la princesse, exactement vers les jardins où elle se trouvait.
Elle le suivit du regard, faisant le tour du palais à basse altitude, il devint vite évident qu’il manœuvrait dans l’intention d’un atterrissage inhabituel.
Un rayon de lumière éclatante, surgissant de la proue s’alluma subitement, explorant le terrain en contrebas à la recherche d’un point d’atterrissage. Il révéla la silhouette des gardes, faisant briller momentanément les points étincelants de chaque pierre précieuse encastrée dans les harnachements magnificents.
Puis le faisceau fouilleur balaya un instant les gracieux minarets noirâtres, s’élevant dans la cour, le parc, et les jardins du palais. Il cherchait et effleura un bref moment le banc d’ersite et la jeune fille qui s’y trouvait assise, le visage tourné vers le vaisseau en signe d’interrogation, cherchant visiblement à savoir qui pouvait bien venir là.
Le pinceau de lumière s’arrêta quelques secondes à peine sur ce tableau dont Thuvia de Ptarth formait le centre, puis s’éteignit aussi brusquement qu’il s’était allumé. L’aéronef passa au-dessus d’elle, avant de disparaître derrière un haut massif de skeel qui poussait juste à cet endroit.
La fille demeura telle qu’elle était, mis à part sa tête inclinée et ses yeux regardant le sol, plongée dans ses pensées.
Qui donc autre que Carthoris aurait-il bien pu être ? Elle essaya de se trouver irritée par un tel retour : il la soumettait à un véritable espionnage ! Mais il lui était difficile d’être courroucée par le jeune prince d’Hélium !
Quel caprice un peu fou l’avait-il poussé à transgresser ainsi l’étiquette des nations ? La guerre avait souvent éclaté pour des motifs moins graves !
Certes la princesse, dans son for intérieur, était choquée et en colère, mais qu’en était-il de la jeune fille ?
Et les gardes ? Que pensaient-ils de tout cela ? Ils étaient stupéfaits évidemment d’une telle action, sans précédent de la part d’un étranger, qu’ils n’avaient d’ailleurs pas réussi à identifier sur le moment. Mais leur idée n’était nullement d’en rester là ; le fait était attesté par le vrombissement de moteurs mis en marche dans l’étage d’atterrissage et l’apparition presque immédiate d’un navire de patrouille au long-cours.
Thuvia l’observa, il s’éloignait, rapide comme une flèche vers l’est. Mais d’autres yeux observaient sa course et son éloignement !
Le vaisseau clandestin se tenait à quelques mètres du sol, caché dans le fourré de skeel, juste au-dessus d’une large trouée du feuillage touffu. Sur le pont, des observateurs au regard perçant suivaient l’éloignement du navire patrouilleur au phare-chercheur. Sur le leur, pas une lumière n’était allumée, tout baignant dans l’obscurité et dans un silence de tombe. L’équipage, constitué d’une douzaine d’Hommes-Rouges, guettait avec attention l’éloignement du patrouilleur lancé à leur recherche.
— La finesse de nos ancêtres nous guide ; elle est pour nous cette nuit, prononça l’un d’eux à voix basse.
— Jamais projet n’aura mieux fonctionné, objecta un autre, les choses se déroulent telles que le prince les a prévues.
Celui qui avait parlé en premier se tourna vers l’homme se tenant devant le tableau de bord.
— Maintenant ! ordonna-t-il dans un souffle. Il n’y eut aucun autre ordre donné. Chacun avait sa tâche parfaitement déterminée : chaque détail ayant été soigneusement établi dans l’ensemble des missions à accomplir cette nuit-là. Le fuselage sombre se mit à progresser lentement à travers la trouée majestueuse ménagée dans la masse feuillue, ténébreuse et silencieuse.
Thuvia de Ptarth rêvassait en regardant vers l’orient, elle distingua la tâche sombre se détachant dans l’obscurité des arbres au moment où le fuselage franchit les contreforts en ogive du mur clôturant le jardin ; l’avant s’inclina jusqu’à toucher la pelouse écarlate.
Les hommes en question ne venaient pas dans une intention honorable. Pourtant, elle ne cria pas afin d’alerter les gardes cependant tout proches ; elle ne se sauva pas non plus pour trouver refuge dans le palais.
Pourquoi ?
On peut imaginer la réponse qu’elle aurait donnée, éventuellement, à cette question : un haussement de ses belles épaules et ces mots désabusés, appartenant à l’universel et éternel féminin :
— Parce que !
Sitôt que l’appareil eut touché le sol, quatre hommes bondirent depuis le pont ; puis ils coururent vers la jeune fille.
Elle ne marqua aucun effroi, se tenant exactement comme quelqu’un d’hypnotisé. Peut-être, attendait-elle finalement un visiteur bienvenu ?
Ce n’est qu’à leur proximité qu’elle se mit à s’agiter. La première lune émergeant au-dessus du feuillage atteignait leurs visages, les éclairant de toute la vive lueur de ses rayons argentés.
À ce moment seulement, Thuvia de Ptarth distingua des étrangers : des guerriers en tenue, portant l’uniforme de Dusar !
Elle prit peur ; mais il était trop tard !
Avant même d’avoir pu pousser un seul cri, des mains brutales la saisirent, une cagoule de soie lui fut jetée sur la tête, l’enveloppant aussitôt. Des bras puissants la soulevèrent et la transportèrent sur le pont du vaisseau. Les hélices se mirent aussitôt à vrombir et l’engin se rua vers l’avant, le vent venant lui fouetter le corps, tandis que loin en contrebas, se faisaient entendre les cris et la course effrénée des gardes.
En route vers le sud, un autre engin se pressait en direction d’Hélium. Dans la cabine, un Homme-Rouge de très grande taille était penché sur la semelle d’une sandale retournée. Il mesurait à l’aide d’instruments sophistiqués la délicate empreinte d’un petit objet qui avait laissé sa trace.
Une esquisse de la clé était fixée dans un étau à côté de lui. Il y reportait au fur et à mesure les valeurs des cotes enregistrées.
Alors qu’il achevait ce travail, un sourire effleura ses lèvres. Il se retourna ensuite vers une personne qui attendait, de l’autre côté de la table.
— Cet homme est génial ! commenta-t-il, seul un génie est capable d’avoir conçu la fermeture à ressort que cette clé est destinée à actionner. Prends cette esquisse, Larok, et mets toute ton habileté pour la reproduire en métal.
Le guerrier-technicien opina de la tête :
— Rien ne peut être conçu par un homme qu’un autre individu ne puisse détruire, proféra-t-il sentencieusement. Il quitta la cabine avec l’esquisse.
Un aéronef venant du nord flottait paresseusement dans le ciel où s’élevaient deux immenses tours marquant la présence des deux cités jumelles d’Hélium ; l’une rouge vif et l’autre jaune. Cela se passait alors que l’aube venait juste de se lever.
Sa proue portait le blason d’une ville éloignée, à laquelle appartenait un petit noble de l’Empire d’Hélium. Son approche nonchalante et sa détente attestaient de la confiance que l’on pouvait lui accorder ; la méfiance des gardes endormis n’était éveillée en aucune manière. La ronde de service pratiquement accomplie, ils ne faisaient plus qu’attendre la relève.
Hélium vivait en paix, une non-belligérance assez lénifiante ; n’ayant pas d’ennemi, elle n’avait rien à redouter de quiconque.
Nonchalamment, le navire de patrouille le plus proche vint à sa rencontre, se rapprochant de l’étranger. L’officier de service entama une audition à distance raisonnable, l’apostrophant pour lui demander sa destination.
Un cordial « Kaor ! » lui répondit. Une explication raisonnable lui fut donnée sur la présence de ce navire dans cette zone : le désir de son propriétaire de venir passer quelques jours de détente dans la partie d’Hélium où l’on s’amusait. La patrouille satisfaite, laissa le visiteur continuer sa course, poursuivant plus loin sa mission de surveillance. L’étranger fit route vers un étage d’atterrissage public où il se posa, arrêtant là sa course.
Sur ces entrefaites, un guerrier fit son entrée dans la cabine.
— Mission accomplie : j’y suis parvenu, Vas Kor, dit-il, confiant une petite clé de métal au noble de grande taille qui venait juste de s’extraire de ses soieries et fourrures.
— Voilà qui est parfait ! s’exclama ce dernier. Tu as dû y passer toute la nuit, Larok !
L’interpellé acquiesça.
— Maintenant, va me chercher les insignes de métal que tu as forgés ces jours-ci, commanda Vas Kor.
La chose faite, le guerrier aida son maître à remplacer l’élégant emblème orné de bijoux de son harnachement par un métal beaucoup plus simple et moins riche, celui du simple combattant d’Hélium, sur lequel figurait l’insigne de la même Maison que l’oriflamme déployée à la proue de l’appareil volant.
Vas Kor déjeuna à bord. Puis, il sortit des docks aériens et entra dans un ascenseur qui le transporta prestement dans la rue en contrebas, où il eut tôt fait de se mêler aux travailleurs gagnant leur lieu de labeur, de bon matin.
Ainsi mêlé au public, son habillement ne le distinguait pas des autres individus, pas plus que quelqu’un portant des pantalons ne se singularise dans la foule de Broadway ! Tous les Martiens sont des guerriers, à l’exception de ceux qui sont inaptes à porter les armes. Le commerçant, comme son commis, exhibent leurs uniformes tout en continuant à exercer leur profession. Même l’écolier émergeant dans le monde, déjà presque adulte sitôt sorti de sa coquille blanche comme neige dans laquelle il a passé cinq longues années, ne conçoit guère la vie en société sans avoir une épée au côté ; si elle lui manquait, il aurait la même impression qu’un jeune garçon terrestre marchant dans les rues sans pantalon !
La destination de Vas Kor était dans le Grand-Hélium, situé à quelques cent vingt kilomètres dans les plaines du même niveau qu’Hélium-la-Petite. Il avait préféré atterrir sur cette dernière, les patrouilles aériennes y étant moins suspicieuses, leur garde se trouvant relâchée par rapport à la plus grande métropole, le palais du Jeddak s’y trouvant.
Tandis qu’il allait de concert avec la foule dans le ravin aménagé en parc de banlieue, la vie de la cité s’éveillant à une nouvelle journée lui apparaissait clairement. Les maisons juchées sur une mince colonne de métal durant la nuit, se trouvaient abaissées doucement jusqu’au niveau du sol. Les fleurs réparties sur le gazon écarlate étaient éparpillées un peu partout, au milieu d’enfants, issus des maisons voisines, en train de jouer. Des femmes accortes riaient et bavardaient avec leurs voisines, tout en cueillant de grosses fleurs magnifiques afin de garnir leurs intérieurs.
L’agréable « Kaor ! » marquant l’hospitalité de Barsoom se faisait entendre sans arrêt, aussi bien pour les étrangers que les amis ; les proches se rendant au travail d’une journée nouvelle.
Le district où il avait atterri était très résidentiel, quartier habité surtout par des commerçants parmi les plus prospères. Tout respirait là le luxe et le bon vivre. Les esclaves apparaissaient devant les façades et sur les vérandas avec des soieries fines et des fourrures coûteuses, les étalant au soleil pour les aérer. Des femmes richement parées de bijoux s’étendaient nonchalamment sur les balcons sculptés et ouvragés qui s’ouvraient devant leurs chambres. Plus tard dans la journée, elles gagneraient les toitures où les esclaves leur auraient disposé des canapés recouverts de dais en soie pour leur faire de l’ombre.
Des bouffées d’une musique entraînante sortant de fenêtres ouvertes, venaient rompre par moments la monotonie ; les Martiens avaient ainsi résolu le problème du passage nerveux entre l’état de sommeil et celui de l’activité éveillée, la plupart du temps une transition trop brutale en ce qui concerne les gens vivant sur Terre !
Au-dessus de lui passaient en tous sens de longs et légers navires individuels, assurant une navette pour chacun d’entre eux entre les aires d’atterrissage qui culminaient souvent très haut dans les cieux, pour ce qui est du trafic international. Les transports de marchandises empruntaient d’autres voies, se posant sur des pistes nettement plus basses, allant jusqu’à un minimum de soixante mètres de hauteur. Aucun appareil ne changeait de plan de vol, ne montait ni ne descendait, à l’exception de certains secteurs réservés où tout trafic horizontal est interdit.
Les avenues largement plantées de pelouses rougeâtres sillonnant la cité de toute part, étaient surmontées d’engins suivant une file, chacune dans une direction allant et venant. La plupart se contentaient de frôler la surface du sol, ne s’élevant gracieusement qu’au moment de doubler un autre véhicule plus lent ou seulement aux intersections, auquel cas les files venant du nord et du sud avaient la priorité, les appareils de l’est et de l’ouest devant s’élever pour ne pas couper la route à ces premiers prioritaires.
De nombreux avions privés s’élançaient depuis des garages individuels, édifiés sur les toits des habitations ; ils gagnaient alors les lignes réservées au trafic. On entendait de gais « au revoir » ainsi que des conseils de prudence se mélanger à la mise en route des moteurs et au bourdonnement général des rumeurs de toute la ville.
Malgré ce trafic intense et le bruit infernal qui aurait dû l’accompagner, des milliers de véhicules se trouvant simultanément en l’air, l’impression dominante restait celle d’une aisance fort élégante et d’un silence à peine rompu par une simple rumeur des plus plaisantes.
Les Martiens ont horreur des sons discordants et des vociférations. Les seuls bruits qu’ils aiment sont ceux des évolutions martiales : le heurt des armes entrechoquées, ou encore la collision entre deux puissants vaisseaux aériens de combat ; il n’y a pas plus belle musique pour eux que celle-là !
Au croisement de deux larges avenues, Vas Kor descendit du niveau de la chaussée jusqu’à l’une des grandes stations souterraines du train pneumatique qui sillonnait le sous-sol des deux cités jumelles.
Il paya d’abord un ticket à l’aide de deux pièces de monnaie ovales, typiques d’Hélium, pour se rendre vers la destination désirée.
Puis, après avoir franchi un contrôle, il se joignit à une file de personnes qui avançait lentement vers ce qu’un terrien aurait décrit comme un projectile à l’avant tronconique, faisant quelques deux mètres cinquante de longueur et gagnant une sorte de canon, tel un obus en préparation de tir. Ces habitacles individuels avançaient en file, le long d’une chaîne à pignons. Une demi-douzaine d’assistants aidaient les voyageurs à prendre place, ou encore mettaient les véhicules en direction de la destination désirée.
Vas Kor s’approcha d’un des véhicules vides. Au-dessus du nez de l’appareil se trouvaient un cadran et une aiguille. Il fixa cette dernière sur une certaine station du Grand Hélium puis gagna une sorte de trappe bombée, l’enjamba et se laissa glisser jusqu’au fond capitonné. Un employé referma le dessus, qui se verrouilla dans un cliquetis, le transporteur continua sa marche lente.
Subitement il se mit en position finale selon la voie à suivre pour gagner la destination indiquée par l’aiguille, s’enfonçant dans l’ouverture d’un tube obscur.
Le temps pour « l’obus » de pénétrer entièrement dans le tunnel sombre et il se lança aussitôt, accélérant jusqu’à atteindre la vitesse d’une balle de fusil. Il y eut un bref moment, comme une sorte de sifflement, suivi d’une décélération effectuée en douceur. Le transporteur vint lentement, émergeant sur une plate-forme, où un autre employé souleva le couvercle.
Vas Kor gagna le plein centre du Grand Hélium, remontant du sous-sol de la station. Il était à cent vingt kilomètres de son endroit d’embarquement !
De là il prit l’avenue qu’il redescendit empruntant un transport de surface, ne soufflant pas un mot à l’esclave qui assurait la conduite du véhicule. Dans ces conditions il était absolument évident qu’on l’attendait et que cet individu avait reçu des instructions précises concernant sa venue.
Sitôt Vas Kor installé dans le véhicule, le conducteur se lança à vive allure, prenant d’abord la file principale, puis l’abandonna en tournant depuis l’avenue, large et pleine de monde, pour gagner une rue latérale beaucoup moins fréquentée.
Il quitta finalement ce quartier encore peuplé, pour pénétrer dans un secteur nettement plus désert, avec de petites boutiques. Il s’arrêta devant l’une d’elles, l’enseigne était celle d’un marchand de soieries étrangères.
Vas Kor entra dans le magasin au plafond bas.
Un homme venu du fond de la pièce le guida vers un appartement dans l’arrière-boutique, sans faire aucunement mine de le reconnaître, jusqu’à ce qu’il ait introduit l’arrivant et refermé la porte derrière lui.
Ce n’est qu’alors qu’il se retourna, le saluant avec déférence.
— Très noble… commença-t-il.
Mais Vas Kor lui fit aussitôt un signe de dénégation, lui coupant la parole.
— Pas de palabres, dit-il. Nous ne devons jamais oublier que je ne suis rien d’autre, ici, que ton esclave. Si tout a été soigneusement préparé et conformément aux plans, nous n’avons pas de temps à perdre. Nous devrions même être déjà en route pour le marché aux esclaves. Es-tu prêt ?
Le marchand fit un signe de tête affirmatif et se tournant vers un coffre, en sortit des vêtements dépourvus de tout blason : ceux d’un esclave. Il les tendit aussitôt à Vas Kor qui les enfila. Ils franchirent tous deux la boutique, passant par une porte arrière, traversant un chemin sinueux qui débouchait sur une avenue passante du côté opposé à l’entrée. Ils trouvèrent là un véhicule de course qui les attendait.
Cinq minutes plus tard, le marchand menait son « esclave » à un marché public où un grand concours de peuple remplissait tout l’espace disponible au centre duquel étaient remisés les esclaves prêts à la vente.
La foule était particulièrement dense, ce jour-là. On savait que Carthoris, prince d’Hélium, serait le principal enchérisseur.
Les acheteurs montèrent l’un après l’autre sur l’estrade ouverte devant la cabane contenant les esclaves, ces derniers constituant la « marchandise » à négocier. On leur exposait brièvement les qualités de chacun des individus que les marchands vendaient.
Quand tout ce trafic commercial fut achevé, le majordome du prince d’Hélium rappela hors du bloc tous ceux qui l’avaient favorablement impressionné et il fit alors une offre les concernant.
Il y eut fort peu de marchandages et pas l’ombre d’un seul au sujet de Vas Kor. Son maître-marchand accepta la première offre qu’on lui en fit… et c’est ainsi qu’un noble dusarien parvint à se faufiler dans la maison de Carthoris.